Première éducation biblique de Madeline

Autoportrait dessiné au crayon par elle à 13 ans

Dès ses huit ans, les circonstances familiales ont causé l’initiation biblique très exceptionnelle de la future artiste. Son grand-père maternel, habitait alors la ville de Lausanne, il voulait que la petite fille soit élevée dans la religion de son père. Or, celui-ci habitait Zurich et venait d’une famille protestante, fervente depuis la Réforme ! Quant à la maman, ravagée par les deuils cruels de leur famille, elle cherchait son chemin en pratiquant un accueil généreux des intellectuels chassés de leurs pays : Italie, Espagne, Japon, à cause de leurs divers engagements spirituels.

L’influence du pasteur Cuendet

Son grand-père a confié l’initiation catéchétique de Madeline Diener au Pasteur William Cuendet qu’il connaissait bien. Celui-ci, frappé des dons artistiques de l’enfant, l’a instruite en lui expliquant les gravures bibliques de Rembrandt dont il possédait la collection.

« Rembrandt s’empare peu à peu de tout le réel, du « beau » et du « laid », de l’humble et du superbe pour y couler sa vision et sa divination. C’est à travers la banalité quotidienne que lui apparaît le fond divin de l’existence ». Juste remarque de Rodin : « C’est la belle vaillance des êtres modestes, la sainteté des choses banales… « On pense au bâton du vieil homme et à la brouette de la Pièce aux cents florins, à la sandale du Prodigue de l’Ermitage, aux objets familiers de la chambre où se lève le Tobie aveugle, qui est bien, dans sa marche hésitante et sa vérité, l’aveugle le plus touchant de l’histoire… C’est par ce que Rembrandt est par excellence le peintre de la destiné humaine qu’il est le peintre du spirituel, d’un spirituel qui est lui-même charnel » (Texte de William Cuendet, cité par Paul Baudiquey dans son livre «Un évangile selon Rembrandt» collection « Un certain regard » Ed. Mame, Paris, 1989).

Illustration tirée du livre “Le Chant du Hibou”

Influence de Rembrandt sur le travail de Madeline

Etudier l’œuvre d’un artiste c’est d’abord observer l’arrière-pays de celle-ci car l’originalité de celui-ci s’inscrit dans un cadre, un famille de pensée, une suite chronologique qui ennoblit son propre apport, même par-delà les ruptures…Mais s’agissant de Madeline Diener, on peut bien remarquer l’influence de Piero della Francesca ou de Morandi, celle de Cézanne ou de des deux frères Giacometti ou de Schneider Menzel qu’elle admirait tant; toutefois ces références sont ponctuelles alors que l’histoire particulière de cette artiste montre comment elle n’a jamais perdu l’imprégnation du génie de Rembrandt qui a accompagné son éducation religieuse de l’enfance jusqu’à l’âge adulte.

La famille de Madeline était profondément spirituelle en même temps que de façons très diverses : son père descendait d’un protestantisme remontant fidèlement jusqu’à Zwingli, son grand-père maternel était juif libéral et connaissait sa lignée d’ancêtres jusqu’au Moyen-Age. Sa mère, ébranlée par trop de deuils dans son enfance, cherchait la foi auprès d’amis communistes ou bouddhistes, qu’elle accueillait généreusement. Et, au sein de toutes ces recherches, la petite fille se sentait foncièrement catholique en même temps que respectueuse de toutes les consciences individuelles.

C’est le Pasteur William Cuendet, ami du grand-père maternel, qui instruisit la foi de cette enfant en lui expliquant la collection des gravures bibliques de Rembrandt qu’il possédait, il était frappé des dons artistiques de la petite en même temps que de la rigueur de la foi de celle-ci. L’art de ce fin pédagogue évitait à Madeline des choix trop précoces et difficiles en éduquant une attitude contemplative ouverte au Mystère révélé. Il fut le premier à accueillir le désir de la jeune adulte d’officialiser sa foi catholique, et il s’en réjouit : « Je t’y ai toujours préparée parce que tu es tellement artiste que tu aurais fuit une pratique religieuse qui se serait défié de l’image», expliqua-t-il.

On comprend mieux pourquoi Rembrandt imprégna si profondément l’art de Madeline. Au XVII° siècle, la plupart des artistes du « siècle d’or » de la Hollande habillaient de vêtements princiers la Vierge Marie, et les saints. Leurs modèles étaient beaux quitte à faire poser des dames qui faisaient commerce de leurs charmes. Or, le croyant Rembrandt se distinguait de cette mode par sa pratique obstinée de représenter la pauvreté de « celui qui a tellement pris la dernière place que personne n’a pu la lui ôter ». De sorte que dans les centaines de tableaux bibliques qu’a peint Rembrandt, les gueux, les handicapés, les pauvres sont ennoblis par leur ressemblance avec leur Sauveur. Madeline qui avait, déjà toute petite, remarqué et déploré l’attrait de l’argent parmi les relations de sa riche famille, apprit aisément à reconnaître les traits du Christ sous ceux des méprisés.

Quand elle décorait la façade de l’église Saint-Jean-des-deux-moulins près de la place d’Italie, elle achetait des gâteaux au fromage et au chocolat pour les partager avec les mendiants qu’elle rencontrait à l’entrée du métro. «Comment pourrais-je représenter le Christ, si j’étais passé à côté de Lui sans l’honorer?», expliquait-elle.

Pourtant, nous savons que le même Rembrandt était collectionneur et il a enveloppé les portraits de son épouse ou de sa belle-fille de tissus précieux, de perles et de bijoux d’or. Son attention à la transcendance divine ne l’empêchait pas d’apprécier les richesses du port d’Amsterdam et même les arts exotiques que sa flotte importait dans cet Occident renouvelé par l’art des étrangers. En cela aussi, Madeline pouvait le comprendre parce qu’après des siècles de commerce en Asie, au Moyen Orient, aux Etats Unis et en Europe, ses ancêtres avaient fait de la maison familiale un vrai musée. Elle-même continua les collections qui inspiraient parfois ses recherches pour trouver des solutions au renouvellement du mobilier liturgique. “Le Maître du siècle d’or et l’artiste contemporaine du Concile Vatican II admiraient l’œuvre du Créateur aussi profondément sous les traits d’un humain que dans les chatoiements de la nature”, à peine âgée de vingt-deux ans, écrivait-elle de Venise.

“Tout concorde ici à une harmonie splendide, je goûte à toutes ses joies parce que Dieu me les a données à présent. Chaque jour, le joli reçoit comme un cadeau fragile. C’est un vase précieux, mais l’eau seule compte. Le danger c’est que plus le vase est précieux, plus on a tendance à s’attarder à le contempler, on en oublie le contenu. Lorsque le vase est pauvre, on s’y attache moins.”

Finalement, le beauté quelle qu’en soit l’aspect ramenait à Dieu cette âme simplifiée par la prière.

« Je crois, écrivait Madeline, que je regarderai toujours le soleil dans les poissons, c’est une forme de mon regard, bien que j’ai un peu appris (non par moi-même) à regarder le soleil en face de manière éblouie, c’est évident ; mais enfin cela ne supprime pas les poissons et leurs écailles qui reflètent le soleil couchant… Ceci m’est une grande joie et comme une ouverture non seulement sur le temps, qui perd ses limites, mais sur l’espace qui perd les siennes du même coup. Une telle amitié est et devient de plus en plus extensible, ouverte. »   Et cependant elle écrivait, toujours en face des paysages les plus merveilleux: « le Royaume de Dieu est encore tellement plus beau, que des saints, pourtant très sensibles à la beauté de la création, ont préféré la vison de cette harmonie parfaite qu’est le Royaume de Dieu. » (19 mai 1953)

La modestie des personnages bibliques figurés par Rembrandt n’efface pas leur message, au contraire. Leurs mains le disent autant que les visages qu’il a peints ou gravés, et Madeline ressentait tellement l’importance des mains que les anecdotes sont nombreuses de la part de ceux qui la voyaient travailler… “Elles sont si fraternelles que je me sens redevenir un homme ! “, remarquait un jeune drogué qui était assis par terre au pied de l’échelle sur laquelle elle sculptait un Christ en gloire.

Les mains représentées par Rembrandt prolongeaient le mouvement du corps, un élan si épuré qu’il résumait toute une situation. Si on observe l’attitude des personnages que Madeline a dessinés, toute jeune, dans les marges de sa Bible, on peut discerner le même geste, la même posture que celle des acteurs de « l’Evangile selon Rembrandt » tels qu’elle les représentera jusqu’à à la fin de sa vie ; et leur silhouette, c’est celle dessinée par Rembrandt ! Rien de surprenant qu’elle maintint ce canon jusqu’à ses toutes dernières œuvres. Elle avait étudié beaucoup d’autres Maîtres, mais elle s’était imprégnée de la foi de Rembrandt et de son art dans le bureau du Pasteur Cuendet.

On s’étonne que ce génie ait choisi de représenter plusieurs fois les mêmes scènes bibliques, alors qu’il n’en a pas travaillé d’autres. On reconnait de sa main sept gravures de la Fuite en Egypte ! Mais si on compare les œuvres qui ont retenu son attention, on s’aperçoit qu’elle y développe le même symbole, comme si à travers celui-ci se poursuivait sa méditation sur la foi qui transforme le doute, comme un rai de lumière est magnifié par l’obscurité qu’elle traverse. Madeline elle-même a privilégié cette victoire de la Vérité révélée sur la difficulté humaine à dépasser les apparences pour anticiper le bonheur du Ciel. Comme Rembrandt, elle a représenté plusieurs fois la Fuite en Egypte, le Rencontre d’Emmaüs, l’apparition post pascale relatée par Saint Jean au chapitre XXI de son Evangile . Elle tentait d’exprimer sa prière personnelle en traitant le même sujet dans des techniques différentes : aquarelles, acrylique, gravures sur cuivre, sur bois, d’un ou plusieurs passages, même y compris dans la tradition Coréenne, mosaïque, sculpture, etc. … Mais elle ne citait jamais l’influence de Rembrandt sur elle, tant il l’avait imprégnée, tandis qu’elle faisait aisément allusion aux artistes anciens ou contemporains auxquels elle se référait parfois.

Il y a plus encore, le souci d’accéder à la Vérité plutôt qu’aux modes de son époque a coûté cher à l’auteur de la « Ronde de Nuit » et des tableaux successifs. Renonçant à sa propre célébrité, il a vu ses commanditaires l’abandonner, au point de mourir lui-même ruiné ! Ses personnages de l’Evangile portent le poids des misères humaines, et les portraits des contemporains ne dissimulent pas leurs défauts esthétiques tant ils sont vrais. Leur grandeur vient justement de la manifestation en eux de la présence du Créateur, et celle-ci ennoblit la nature elle-même, la vérité des arbres, voire des coquilles, peints par Rembrandt reconnait à ceux-ci une force religieuse, les enrichit d’une intensité symbolique. Or, en 1973, pour l’inauguration d’une exposition de Madeline à Zurich, le Docteur Von Matt, critique d’Art, remarquait : « Si je dois parler de l’art de Madeline, je veux indiquer que ce qui est indiqué comme des tableaux, ce sont aussi des haltes pour méditer, contempler… Les visages humains ne sont pas plusieurs mais un seul visage, vision de ce qui demeure toujours de divin. Les paysages ne sont pas toujours plusieurs paysages singuliers mais chacun est un paysage éternel et la terre sur laquelle nous voyons la trace de Dieu. » (Texte cité dans le livre « Madeline Diener son œuvre », p.60, Editions Ad Solem, par Henri Salina et M. J. Coloni) Une visiteuse ne se plaignait-elle pas : « Tout est religieux ici, même quand le tableau ne le dit pas. »

Lorsque le Pasteur Cuendet se réjouissait de ce que son élève, devenue adulte, se déclare catholique, c’est qu’il avait distingué le regard « symbolique » de l’artiste et que la foi de celle-ci était nourrie par les sacrements célébrés à l’église. Lorsque, plus tard, l’artiste eut à décorer des lieux de culte, sa première préoccupation fut de rendre accessibles « les Mystères » en exprimant la portée symbolique de la matière des sacrements aux yeux de tous ceux qui les verraient. Préoccupée des plus jeunes qui risquaient de s’ennuyer lors du baptême d’un ainé, elle sculpta sur le baptistère de Saint Maurice, à leur hauteur un lièvre et une grenouille afin qu’ils ressentent la fête de la célébration. Mais elle avait choisi des animaux chargés de significations pour les Grecs ou les Egyptiens, donc susceptibles de parler aussi aux assistants non pratiquants.

La leçon tirée par Madeline des gravures de Rembrandt

Une anecdote, parmi tant d’autres dans la vie de Madeline , montre la mise en œuvre quotidienne de ses acte de foi: Lorsqu’elle figurait en mosaïque l’image du Christ sur la façade de l’église Saint Jean des Deux Moulins à Paris, elle rencontrait tous les soirs, un ou deux mendiants entourés de bouteilles vides à la bouche du métro. Elle ne voulait pas augmenter leur malheur par une aumône qui serait vite convertie en alcool, alors elle achetait, à l’avance, des gâteaux au fromage et d’autres au chocolat et les partageait avec eux. Elle expliquait : « Comment pourrais-je représenter le Christ sur le mur de l’église si je suis passée à côté de Lui sans le voir ? » La « disciple » de Rembrandt, si on peut dire, avait profondément assimilé sa leçon !

Guérison de l’aveugle né, Madeline Diener